6 février 2016 à 10:05

La folle journée du 30 janvier...

Mercredi (19h), Sarre-Union et sa proche région seront en ébullition, lors du huitième de finale en Coupe de France, contre les pros de Lorient. Dans la “bosse” de l’Alsace, l’événement mobilise les énergies. Entre humilité et fierté, l’USSU avance sans complexe vers son rendez-vous historique. Pour comprendre la passion qui anime ce club, récit d’une journée ordinaire à Buggenum , en marge d’un match de championnat.

Jour de match à Sarre-Union

C’est un samedi matin comme un autre, à Sarre-Union, le dernier du mois de janvier. Le vent tourbillonnant parcourt la Grand-Rue, balaie la place de la République, siffle autour des cornes des deux boucs de la fontaine, symbole de la cité, pour s’éparpiller en bas sur les bras endoloris de la Sarre et l’artère rectiligne de la nouvelle ville, au-delà du pont.

De haut en bas, on passe en voiture sans s’arrêter. La seule qui y stationne est un véhicule de pompes funèbres. À l’église Saint-Georges, on y dit une messe d’adieu.

Plus personne ne prête attention au riche patrimoine du bourg, de sa “maison Renaissance” aux anciennes halles à bestiaux reconstruites sur ordre du Roi Soleil, en passant par le collège des Jésuites et son cadran solaire, où l’on lit cette incantation : « Depuis le lever du jour jusqu’au coucher du soleil, louons le Seigneur ».

Aujourd’hui, ce sont plutôt les baux et fonds de commerce qui sont à louer dans le secteur. Les volets clos et les vitrines vides, figées dans la poussière depuis des décennies, à l’image du restaurant-cinéma Excelsior, confèrent au centre historique un air maussade, décati, essoufflé.

« Du dynamisme, de l’optimisme et beaucoup d’espoir »

« Pour une ville de 3 000 habitants, nous avons quand même 2 500 emplois intra-muros, tempère le maire, Marc Séné, qui cite les fleurons de l’industrie locale, comme les Jus de Fruits d’Alsace, la Sarel, passée sous le giron de Schneider Electric, ou encore Bruder-Keller. Mais l’aspect moribond du centre est un vrai problème, comme à Sarreguemines ou à Saverne. On y travaille, et ça commence à bouger. » Le boulanger de la rue aura bientôt des voisins, dit-on.

En ce samedi matin, l’animation est à chercher du côté du stade Omnisports, le fief de l’US Sarre-Union, sis rue des Bleuets. À partir de 9h, le club-house a ouvert ses portes. Une partie des 2 900 billets du match de l’année y est mise en vente.

« En un quart d’heure, il n’y avait plus rien, sourit Philippe Wilhelm, membre du comité en charge de la communication et de l’aspect commercial du club. Forcément, il y a des déçus. Même la plus belle des mariées ne peut donner que ce qu’elle a… »

Avec un soin infini, les bénévoles du club comptent et recomptent les liasses de billets contenues dans une petite caisse en métal orange. La recette de ce huitième de finale représente une jolie manne pour un club au budget limité.

Michel Paugam est un des derniers récipiendaires du précieux sésame. Il ne vient pas de Sarre-Union, même pas d’Alsace Bossue. C’est d’ailleurs écrit en lettres blanches sur son jogging noir : son cœur bat pour l’US Soucht. « Ligue Lorraine, district Moselle, à une quinzaine de kilomètres d’ici », détaille le quadragénaire, tout heureux de récupérer son septième et dernier ticket pour les siens, « le cousin, la famille ».

« Nous, au club, on a eu la chance de jouer un septième tour de Coupe de France, raconte-t-il. C’était en 2010, contre le Racing. Un moment inoubliable, même si on a perdu sept à un. L’aventure que vit Sarre-Union est énorme. Dans le Bitcherland, on est à fond derrière eux. Un PSG-Lyon, ça n’intéresse personne à ce stade de la compétition, parce que l’on voit ces matches-là toute l’année à la télé. Mais un petit contre un gros, ça déchaîne les passions. »

Contre Niort, au tour précédent, la parabole de David contre Goliath avait déjà tenu en haleine toute la “bosse” d’Alsace, aux confins du Bas-Rhin et de la Moselle. De quoi braquer les projecteurs sur une ville dont on ne parle jamais. Ou alors en mal.

À la brasserie de la Fontaine, à l’heure de l’apéro, des vertus cathartiques sont conférées à l’épopée en Coupe de France. « L’image est enfin positive, explique Laurent, imposant barbu venu avec son gros chien posé à ses pieds. C’est important, par rapport aux événements de l’an dernier… »

En février 2015, la tranquille cité avait été placée sous les feux de la rampe, à la suite de la profanation de 250 tombes de son cimetière juif. Cinq lycéens, dont quatre originaires de la commune, avaient été mis en cause.

Un traumatisme profond qui est ravivé ces jours-ci, à l’approche de la date “anniversaire”. « Avec le temps, ça s’est un peu calmé, affirme Marc Séné. Sans chercher à minorer la gravité des faits, le contexte était quand même à l’époque exacerbé, juste après les attentats parisiens de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. On a vu arriver les trois premiers personnages de l’État : François Hollande, Gérard Larcher (président du Sénat) et Claude Bartolone (président de l’Assemblée). Pour une petite ville comme la nôtre, ça fait beaucoup… »

Personnellement « marqué par ces circonstances tragiques », le maire, en poste depuis mars 2001, vit avec « un bonheur total » l’incroyable épopée d’un club qu’il avait lui-même dirigé l’espace de deux saisons, avant son premier mandat.

« C’est une pub extraordinaire, avec une image positive, du dynamisme, de l’optimisme et beaucoup d’espoir, s’enthousiasme-t-il. L’USSU, c’est un miracle permanent. Encore plus cette année avec la Coupe de France. Il n’y a que le foot qui est capable de rassembler autant de monde et de susciter une telle effervescence. »

Les clients de la brasserie de la Fontaine ne disent pas le contraire. Tous se projettent déjà avec gourmandise sur la venue de Lorient. « L’exploit est possible, on a la capacité de marquer deux buts », assure sans forfanterie Damien, papa de deux filles « qui jouent dans l’équipe féminine du club », le survêtement bleu et noir de l’USSU sur le dos.

Ici, on fait peu de cas des trois divisions qui séparent les deux équipes et des indéniables qualités des Morbihannais, une valeur sûre de la Ligue 1 à défaut d’en être une tête d’affiche.

« Lorient ? On va les battre un à zéro, et ensuite on pourra affronter le PSG à la Meinau », lance, pince-sans-rire, Charlot Hamm, assureur à la ville et responsable des saucisses au stade.

À Sarre-Union, on ne doute donc de rien. Le Buggenumer klarper , surnom alsacien dont sont affublés les habitants de la ville, n’est pas une vue de l’esprit. Comme le Hans im Schnokeloch strasbourgeois, ce cousin éloigné d’Alsace Bossue n’est jamais content de son sort et croit que l’herbe est forcément plus verte ailleurs. Sauf qu’il le crie sur tous les toits, avec la « gueule grande ouverte ».

Dans l’unique tribune du stade, ça gronde donc souvent. Et pas toujours pour encourager les Bleus. La moindre mauvaise passe provoque de mugissantes railleries. Le persiflage collectif escorte les joueurs dès lors qu’ils relâchent un peu la bride. Aux yeux des spectateurs, la technique passe au second plan. Avant de vouloir pratiquer un jeu léché, déjà faut-il laisser son cœur sur la pelouse.

Surtout, l’exploit a tendance à être banalisé. Depuis que Roudy Keller, l’actuel manager, mais surtout dirigeant-mècène et homme providentiel de l’USSU dont le nom est sur toutes les lèvres en ville, a sorti le club des limbes, tout le monde s’est habitué à un certain standing sportif.

Contre toute logique économique, le club vit ainsi sa cinquième saison en CFA. Sur la carte de France du ballon rond, Sarre-Union émarge parmi les cent meilleures équipes. « On a un esprit amateur et rural, même s’il ne s’agit pas de se dévaloriser, explique Patrick Gangloff, une des “chevilles ouvrières” de l’USSU. Tout cela est possible grâce à la passion des bénévoles, qui s’investissent sans compter. »

Lui-même apporte de l’eau au moulin depuis cinq ans, « parce que Roudy me l’a demandé ». À travers son activité de boucher-traiteur, il est aux petits soins pour les joueurs.

Les Buggenumer klarper portent bien leur nom

Mercredi, l’équipe d’Éric Becker viendra d’ailleurs chez lui, « pour un temps de recueillement » – entendez par là une mise au vert –, dans une aile de l’ancien château de Lorentzen.

« Je servirai un repas sportif, avec viande blanche et pâtes, détaille-t-il. Les gars pourront ensuite aller se reposer dans les chambres de la Grange aux Paysages, puis préparer le match dans la salle de conférences, avec vidéo-projecteur et tout, comme des “pros”… »

Fin janvier, Sarre-Union tournait encore à l’ordinaire. Le match du jour s’annonce d’ailleurs compliqué. Au vent du matin se mêle un vilain crachin à l’écossaise. Un temps dégueulasse, à vrai dire, qui est peu propice à la pratique du foot…

Sur le pré, les coéquipiers du capitaine Yann Schneider rament contre Chasselay, forte tête du championnat. Parmi les quelque 400 spectateurs venus s’abriter dans la tribune, les “grognards” de l’USSU sont là, autour du président Laurent Weinstein. Ne manque que Roudy Keller, « en vacances », histoire de se changer les idées.

À la mi-temps, on vient se dégeler autour d’un vin chaud. À l’autre extrémité d’un club-house trop exigu, un petit “carré VIP” délimité par un cordon rouge se dessine autour de deux tables de bistrot. L’incontournable épouse du président y joue les maîtresses de cérémonie. Au milieu de la salle, une serpillière absorbe les gouttes qui s’infiltrent par le toit. La convivialité s’entretient dans l’inconfort et le brouhaha.

Quarante-cinq minutes plus tard, les fidèles supporteurs refont vite fait le match, un verre de vin blanc à la main. « Vous voyez, là, on a la table des Alsaciens, et derrière, celle des Lorrains, on ne se mélange pas, hein », tance l’inénarrable Charlot Hamm, en chatouillant l’orgueil des voisins du pays de Bitche, pas rancuniers.

D’orgueil, les joueurs locaux ont su en faire preuve en arrachant une égalisation inespérée, même s’ils restent derniers au classement. Peu importe, la Coupe est déjà dans tous les esprits.

Noël Tosi, l’entraîneur de Chasselay, y va de son mot d’encouragement : « Avec ce cœur et cette envie-là, vos gars, ils vont donner des maux de tête à Lorient ».

En cas de nouvel exploit, l’histoire, déjà belle, deviendrait épique. À Sarre-Union, les « grandes gueules » en parleraient encore dans cinquante ans. En bien, pour une fois.

 

Source DNA.fr

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